Voici l'incipit....
Scan10347.jpg
Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je ser­vais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible.

J'étais toujours envieux, en visite chez un camarade, quand s'ouvrait la porte sur un autre qui lui ressemblait quelque peu. Des cheveux en bataille, un sourire en coin qu'on me présentait en deux mots : « Mon frère. » Une énigme, cet intrus avec lequel il fallait tout partager, y compris l'amour. Un vrai frère. Un semblable dans le visage duquel on se découvrait pour trait commun une mèche rebelle ou une dent de loup, un compagnon de chambrée dont on savait le plus intime, les humeurs, les goûts, les faiblesses, les odeurs. Une étrangeté pour moi qui régnais seul sur l'empire des quatre pièces de l'ap­partement familial.

 

Unique objet d'amour, tendre souci de mes parents, je dormais pourtant mal, agité par de mauvais rêves. Je pleurais sitôt ma lampe éteinte, j'ignorais à qui s'adressaient ces larmes qui traversaient mon oreiller et se perdaient dans la nuit. Honteux sans en connaître la cause, souvent coupable sans raison, je retardais le moment de sombrer dans le sommeil. Ma vie d'enfant me fournissait chaque jour des tris­tesses et des craintes que j'entretenais dans ma solitude. Ces larmes, il me fallait quelqu'un avec qui les partager.

Philippe Grimbert  Un secret Le Livre de Poche Grasset 2004

Retour à l'accueil